COMMENTAIRE / Côte d’Ivoire, Burkina, Guinée : Des victoires trop belles pour être honnêtes !


Tout ça pour ça ! Des dizaines de morts et des milliards de francs de dégâts — pour un pays qui, comme le Sénégal, fait partie des plus misérables du monde —, sans compter une année d’anarchie et de foutoir généralisé plus tard, le Burkina Faso vient de se doter d’un nouveau président. Il s’agit, paraît-il, du premier chef d’Etat démocratiquement élu de l’histoire de ce pays anciennement Haute Volta. Pilier du régime de Blaise Compaoré qui dirigea le pays d’une main de fer 27 années durant, ancien Premier ministre, ancien président de l’Assemblée nationale, plusieurs fois ministre, ancien secrétaire général du CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès), l’homme qui va présider dans quelques semaines aux destinées du pays n’est pas à vrai dire ce qu’on peut qualifier de « neuf ». Il a symbolisé jusqu’à la moelle, jusqu’à la caricature et jusqu’à la pourriture  le régime que les Burkinabés, sous sa houlette et sous celle de quelques autres caciques opportunément passés à l’opposition lorsqu’ils ont senti le navire couler, ont renversé le 31 octobre dernier. En effet, si Blaise Compaoré n’avait pas eu la folle idée de vouloir modifier la constitution du « pays des hommes intègres » pour briguer un quatrième mandat de président de la République, Roch March Christian Kaboré, c’est le nom du nouveau président du Faso, serait encore un des caciques du CDP. En lui proposant le poste sans pouvoirs de président du Sénat, le « beau Blaise » a poussé celui qui se voyait Calife à sa place, dans l’opposition en même temps que d’autres « éléphants » de ce parti comme Salif Diallo et Simon Compaoré, l’ancien maire de Ouagadougou, la capitale. Une opposition jusque-là dirigée par Zéphirin Diabré, lui aussi ancien ponte du Cdp même si, lui, il a rompu les amarres très tôt avec cette sorte de parti-Etat. A l’arrivée, Roch March Christian Kaboré a coiffé au poteau l’ancien fonctionnaire du Pnud et ancien cadre de la société française spécialisée dans le nucléaire, Areva. Le 31 octobre 2014, les Burkinabés étaient sortis en masse dans les rues de leur capitale, incendié les locaux de leur Assemblée nationale, un palace où les députés du parti au pouvoir avaient passé la nuit, des domiciles et biens économiques de dignitaires du CDP etc. Au terme de 48 heures d’émeutes, le président Blaise Compaoré avait pris la fuite. La « révolution » burkinabé venait de triompher et un jour nouveau allait se lever pour le peuple de ce pays. Un peuple qui était de nouveau descendu dans la rue en octobre dernier pour chasser les putschistes de la garde présidentielle — le fameux RSP — qui avaient commis le crime de vouloir restaurer l’ordre ancien. Un coup d’Etat raté qui avait fait une douzaine de morts. Deux mois plus tard, les urnes rendaient leur verdict. Et la « révolution » burkinabé accouchait… de la restauration du régime du président Blaise Compaoré mais sans ce dernier. On comprend que le « nouveau » président ait tout fait pour, avec l’aide de son complice, le Premier ministre de la transition, le colonel Isaac Yacouba Zida, mais aussi le soutien du président de l’Assemblée nationale de Transition, Salif Diallo, invalider toute candidature issue du CDP ! Le CDP dont les dirigeants ont été accusés d’avoir fomenté un coup d’Etat, emprisonnés lorsqu’ils n’ont pas réussi à s’enfuir du pays, et dont les avoirs ont été gelés. Drôle d’élection qui a vu une composante essentielle du peuple burkinabé interdite de participer à la compétition et de proposer son projet de société au choix souverain du peuple. Pour tout dire, en écartant les candidats du Cdp de l’élection présidentielle, le chemin était pavé pour une victoire de Roch Marc Christian Kaboré à la présidentielle burkinabé du 29 novembre dernier. Preuve que l’ancien parti au pouvoir aurait pu modifier la donne s’il avait été autorisé à se présenter, il s’est classé à la troisième place des élections législatives qui se sont tenues le même jour que la présidentielle, avec 18 députés. Des législatives à l’issue desquelles le parti du « nouveau » président de la République n’a pas obtenu la majorité absolue. Preuve que si le CDP n’avait pas été écarté de la compétition par les moyens antidémocratiques que l’on sait…
 
Côte d’Ivoire : la drôle de victoire d’ADO
 
Non loin de là, dans la Côte d’Ivoire voisine, le président Alassane Dramane Ouattara (ADO), candidat du Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix  (RHDP) a été réélu avec… presque 84 % (83,66 plus exactement) des suffrages exprimés  le   25 octobre dernier. Un score plus que soviétique que même dans les dernières démocraties populaires du monde on n’ose plus proclamer ! Son principal challenger, largué dans les cordes, n’a pas pu faire mieux que 9 %. Et pour cause, puisque ledit « adversaire », Pascal Affi Nguessan, a été choisi par le président Alassane Dramane Ouattara lui-même qui a tout fait pour que le Front Populaire Ivoirien (FPI), le principal parti de l’opposition, ne présente pas de candidat à l’exception de ce fantoche. La redoutable machine étatique ivoirienne a choisi le responsable le plus accommodant du FPI pour le coopter, lui donner les fonds gelés de cette formation ainsi que les moyens de battre campagne afin de crédibiliser la réélection annoncée de ADO. Le patron du Rassemblement des Républicains (RDR) dont le véritable adversaire, l’ancien président Laurent Gbagbo, est emprisonné à la prison de Scheveningen, aux Pays Bas, sous des accusations grotesques de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». Or, tout le monde sait que le seul homme politique ivoirien en mesure d’inquiéter Alassane Dramane Ouattara, c’est, bien sûr, Laurent Gbagbo dont l’épouse, Simonne, purge une peine de 20 ans de prison en Côte d’Ivoire même. En même temps, l’ancien patron des jeunesses du FPI, Charles Blé Goudé, est lui aussi détenu aux Pays Bas aux côtés de son ancien mentor. Curieusement, aucun des « comzones » de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles, celle-là même qui porta au pouvoir ADO et dont le leader n’était autre que l’actuel président de l’Assemblée nationale ivoirienne, l’honorable Guillaume Soro, aucun de ces « comzones », donc, n’a été inquiété par la Cour pénale internationale (CPI). Inéquitable « justice » internationale ! Des « comzones » qui, plutôt que d’être envoyés en prison pour expier leurs crimes de guerre ont été promus à de hautes responsabilités au sein des forces de défense et de sécurité ivoirienne ! Bien évidemment, à vaincre sans le péril qu’aurait pu représenter pour lui l’homme qu’il a renversé en 2010 après que l’aviation française eut bombardé son palais, le président Alassane Dramane Ouattara n’a pu que triompher sans gloire à l’issue de la parodie d’élection présidentielle ivoirienne d’octobre dernier.
 
Guinée : le triomphe de l’ingénierie électorale du camarade Condé
 
Quittons la Côte d’Ivoire mais sans aller trop loin. Arrêtons-nous en Guinée où le vieux camarade  de lutte (ainsi que les Béninois appelaient le défunt président Kérékou) Alpha Condé a réussi un « coup KO » en battant son éternel adversaire Cellou Dallein Diallo et en se faisant réélire dès le premier tour de la présidentielle d’octobre. Oh certes, le leader du RPG (Rassemblement du Peuple de Guinée) n’a pas eu besoin d’un score soviétique pour rempiler puisqu’il s’est contenté d’un minimum syndical de 58 % environ qui a suffi largement à son bonheur. La caractéristique principale de tous ces scrutins présidentiels qui se sont tenus dans la sous-région ces deux derniers mois c’est que tout a été plié dès le premier tour, les seconds étant en général mortels pour les présidents sortants. On notera que, cette fois-ci, le camarade Alpha Condé n’a pas eu besoin de recourir à de la prestidigitation électorale pour s’imposer. Ce contrairement à ce qui s’était passé en 2010 lorsque le Pr Condé avait réussi la remontée électorale la plus miraculeuse de l’histoire. En retard de presque 20 points par rapport à Cellou Dallein Diallo, candidat de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), il avait réussi l’exploit de le coiffer au poteau à l’issue du second tour ! Les mauvaises langues prétendent que les miracles de l’informatique ainsi que le discret coup de pouce du ministre des Affaires étrangères français de l’époque, un certain Bernard Kouchner, par ailleurs grand pote de Condé, avaient été pour beaucoup dans cette victoire incroyable.

Cette fois-ci, toutefois, tout s’est joué en amont. Notamment en Haute Guinée où, d’après les partisans de Cellou, il y a eu plus de nouveaux électeurs inscrits que dans tout le reste de la Guinée ! On notera que dans les trois grandes villes de cette même région de Haute Guinée, Alpha Condé gagne plus de voix que dans toutes les autres régions de Guinée ! Honni soit qui mal y pense. A l’évidence, la victoire dès le premier tour du grand camarade de lutte ne tient pas qu’à son bilan ni à sa supposée popularité. En tout cas, cette réélection est tellement surprenante que Cellou Dallein Diallo en est resté sans voix depuis lors. Il est vrai que le slogan du vieux président Condé était « un coup KO ». On notera qu’aussi bien en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso qu’en Guinée, les trois présidents élus ou réélus ont en commun le fait de ne pouvoir rien refuser à l’homme d’affaires français Vincent Bolloré. Là également, honni soit qui mal y pense !

Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » quotidien 

 
Mercredi 9 Décembre 2015




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